La plage aux êtres
Kendra McLaughlin (CA)
La plage aux êtres
Film -

Alors que son équipe numérise les traces d'une créature non-identifiée, une paléontologue entre en deuil pour un proche. Une méditation sur la préservation, enfant de la découverte et mère de la perte.

Merci aux équipes d'Archéovision, du conservatoire Virt.Os et de la Plage aux Ptérosaures, à Pamela McLaughlin, à Guangli Liu, à Laure Prouvost et à la communauté du Fresnoy - Studio national des arts contemporains.

Kendra McLaughlin
Kendra McLaughlin Canada
Promotion Jonas Mekas

Kendra McLaughlin travaille l’image en mouvement pour explorer la mémoire, l’attachement individuel ou collectif au lieu, et les éthiques de la représentation et du soin. Ses œuvres dialoguent fréquemment entre le réel et la fiction, entre enquête et émotion. Elle a obtenu sa licence en études visuelles et environnementales à Harvard, des masters en arts politiques (SPEAP) et en droits humains à Sciences Po, et est diplômée du Fresnoy - Studio national des arts contemporains. Élevée entre le Canada et la Thaïlande, elle est actuellement basée en France. Site : kendramclaughlin.com

  • Image: Kendra McLaughlin
  • Création 3D: Guangli Liu
  • Montage image: Kendra McLaughlin, Yuyan Wang
  • Sound design: Tristan Soreau
  • Bruitage: Felipe Esparza
  • Mixage: Yannick Delmaire
  • Étalonnage: Baptiste Évrard
  • Accompagnement artistique: Laure Prouvost
  • Laboratoire PACEA De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie
PACEA est une unité mixte de recherche rattachée au CNRS (InEE), à l’université de Bordeaux et au Ministère de la Culture. Elle est associée à l’INRAP par convention-cadre. Elle accueille également du personnel de l’EPHE.
  • Conservatoire Virt.Os (Virtothèque ostéologique) Le projet VIRT.OS, financé par le Conseil régional d'Aquitaine, a permis la création d'une bibliothèque osseuse virtuelle. Sa vocation est d'aider les disciplines concernées par les études ostéologiques comme l'anthropologie biologique, l'archéozoologie et la paléontologie, l'anatomie et la paléopathologie. Les spécimens contenus dans cette ostéothèque virtuelle proviennent de différentes collections squelettiques et ostéoarchéologiques. Ils sont numérisés par scanner CT, lasergrammétrie ou photogrammétrie. L’objectif de VIRT.OS est de faciliter l'accès à des pièces ostéologiques d'intérêt scientifique ou patrimonial spécifique tout en assurant leur conservation. La base de données, continuellement enrichie, est stockée sur une plateforme dédiée hébergée par l'infrastructure Huma-Num. Les modèles ostéologiques 3D présentés sur le site web VIRT.OS sont disponibles pour la recherche, l'enseignement et la valorisation du patrimoine, à destination des chercheurs travaillant sur les os anciens et récents, humains et animaux, mais aussi pour les enseignants et le public.
  • Archeovision Groupement unique labellisé plateforme qui associe une unité de service,  (CNRS/universités) et une structure de transfert technologique filiale des Universités de Bordeaux, Archeovision Production. Archeovision est précurseur dans le domaine des technologies 3D appliquées au patrimoine et à l’archéologie, effectue des expertises et accompagne les porteurs de projets 3D mais réalise également des films, interfaces interactives, ainsi que des expériences en réalité virtuelle ou augmentée pour la valorisation du patrimoine et la médiation scientifique.
  • Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, Tourcoing Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains est né de la volonté du ministère de la Culture et de la Communication d’implanter dans le nord de la France, un établissement supérieur d’enseignement artistique d’un type nouveau, pôle d’excellence d’envergure nationale et internationale, dont les références furent exprimées par quelques formules telles que « un IRCAM des arts plastiques » ou encore « une villa Médicis high-tech ».

Sa pédagogie, principalement fondée sur la production d’œuvres de toute sorte dont le point commun est l’intégration de techniques audiovisuelles professionnelles, en fait un lieu de production, d’expérimentation et de diffusion totalement inédit.

Source: http://www.lefresnoy.net/fr/Le-Fresnoy/presentation

Thématique : L'insaisissable peau Thematic: Elusive skin

Nos vies nous mettent en face de l’autre, de son visage et de son corps. Cette expérience induit un espace auquel, tous les deux, nous apparte-nons. Celui du cosmos, de l’énergie que nous échangeons. Cette énergie est une pure dépense, un « abouchement » avec le monde.
Elle permet de pénétrer un univers qui ne se réduit pas à ce que l’on voit, à ce que l’on touche. Nous le connaissons par les effets de sa substance comme à travers les hypothèses qu’ils permettent.
La matière est là, investie par le virtuel qui la détermine, au point par-fois d’occuper toute la place, nous livrant aux vertiges des jeux et des métamorphoses. S’agit-il d’un pur insaisissable, désincarné, concept décliné en grappes d’idées ou en structures systémiques ? Non, car s’emparant de ces hypothèses, le rêve nous détrompe. Il est un passeur, pour une exploration « suspendue » d’espace en espace. L’emploi des mots peut éloigner l’incarnation mais n’oublions pas Icare et sa double nature entre ascension et gravité. Cette ambivalence nous conduit au sein des territoires de l’art. Ils sont l’équivalent du tableau de Brueghel l’ancien1, de celui de Daniel Pommereulle l’in-terprétant, ou de la poesis, comme le rappelle Yves Bonnefoy dans ses Entretiens 2 cités par un article à leur sujet3. Pour Yves Bonnefoy, la poésie [fait] « apparaître et vivre un lieu et un moment ». Cette apparition n’est pas aisée : « On a beau espérer délivrer les mots de leurs contenus conceptuels qui réduisent le monde à des figures abstraites et incomplètes, on restera toujours en deça de ce que Rimbaud nommait la vraie vie. »
Pour les créateurs, tout l’enjeu est là, car aujourd’hui le réel se présente sous forme de banques d’images, d’archives, de data, de processus de décryptage et d’encodage. Le réel s’élabore par des suites de suppositions et de compositions. Les problématiques d’un programme, d’un dessein, d’une symbolique débattent avec l’autogénération d’une forme « en soi ». Les figures de cette contradiction se lisent dans les ins-tallations, les scénarios, les performances, les films : figures d’une présence impalpable. Celles de ce « feu follet » qu’évoque Vladimir Jankélévitch : « Qu’on ne nous reproche donc pas la nature insai-sissable de ce feu follet puisque nous en faisons profession ! Nous professons ce dénuement. Notre science dénuée nous prive de tout point fixe, de tout système de référence, de contenus facilement déchiffrables ou délégables qui nous permettraient d’épiloguer, d’ali-menter le discours et d’ouvrir un long avenir de réflexion. Notre science nesciente est plutôt une visée, un horizon, elle a donc fait son deuil de la consistance substantielle en général. »
L’emploi d’une visée, la recherche d’un horizon, nous les vivons avec Panorama 23. En son centre, un pas de deux entre « le lieu et le moment » et un principe de déplacement, généré par un mouvement ayant fait le deuil d’une consistance substantielle. Ce pas de deux fertile dénote cet insaisissable par les volutes d’une « peau ».
De quoi est faite cette « peau » ? Disons, donc cette « étoffe » qui n’est pas le résultat d’un tissage d’idées. Est-ce un tapis volant ?
Il est fait d’espaces assemblés, de cartes, qui sont autant d’écrans qu’un instant je retiens.
Nous y suivons des embarcations semblables au Pequod d’Herman Melville, à des engins dans l’air, des véhicules de pensée ou des nuages qui filent.
Que nous offrent-ils ? Des frontières dépassées, des points aveugles et des renversements, en un mot, les dimensions mentales de l’uni-vers. Le futur infiltre le passé par effraction.
Notre environnement est un planétarium et nos phrases, nos images se multiplient dans d’étonnants kaléidoscopes.
Les œuvres du Fresnoy sont les formidables accélérateurs de nos circumnavigations au sein de la nature du monde. Elles appellent la liberté de ressentir et de penser.
Cette phrase d’Emanuele Coccia, pour son film, est une porte d’entrée idéale sur ces travaux : « Pour s’orienter dans ce ciel couché au sein de tout objet, il faut construire des cartes astrales à la manière des anciens. Apprendre à lire la matière comme on lit le ciel » ou, plus loin, « le ciel est la chair de tout ce qui existe. »
Ainsi une œuvre, grâce à l’intelligence artificielle, explore dans des textes sacrés l’intensité et la violence qui s’attachent au mot Dieu. D’autres pointent du doigt le « peu de réalité » de nos lexiques et syntaxes, de leurs interrelations sans objet, prolongements contemporains de la mécanique du Procès, des machineries de Kafka.
Une autre encore nous entraîne vers le nord, où le jour et la nuit se confondent sans fin, à partir d’une cartographie, d’un terri-toire reconstitué, interdit d’ap-proche sensible mais rétabli par les archives. Pure construction mentale, elle nous livre à la magie des ruines. Celle de bâtiments militaires, imaginés pour des stratégies de contre-espionnage, de défense, du « monde libre ». Sic transit gloria mundi. Ils ne sont plus que rêves d’une toute puissance oubliée, déplacés sur d’autres théâtres d’opérations.
Au détour des parcours, un « cube » minimal nous offre de jouer avec la vie de bactéries, en milieu clos, sublimée par une surface projetée. Invisible et fascinant écosystème à l’intérieur des corps.
Sur une autre scène, grâce à une technologie post-digitale, les objets s’évaporent et changent de substance. Employant toutes les res-sources contemporaines de l’image et du son, nos mots se cristal-lisent, le langage devenant transparent à lui-même. Nous le traversons et, dans l’espace soutenu par des lignes de chœurs, il est rythme volatile, fluidifiant la matrice linguistique.
Le réel, ici, est bien ce « tissu » tantôt diaphane, tantôt fantôme, promesse d’un ciel retourné, enterré, trésor au sein d’un champ où peuvent disparaître nos cinq sens, comme dans ce film où les vaisseaux spatiaux s’abîment en un fond océanique, ultra-abyssal, inaccessible. L’auteure de ce film4 propose cette phrase qui qualifie la poétique de ces travaux présents dans Panorama 23 : « Il s’agit d’observer le monde tel qu’il ne nous apparaît pas et d’inventer la possibilité de le redécouvrir. » Ou de le découvrir… encore…
Grâce à l’art, plus vivant que la nature elle-même, cette « peau insaisis-sable », ce voile sont une provocation au rêve qui les déchire, les outre-passe. Il ne s’agit pas de traverser les miroirs mais d’aller vers « l’autre » ; mais, cette fois, un autre sans visage et ne cessant d’apparaître, un « autre » entre l’obscur de la grotte et les lumières du ciel. L’autre vérité, n’est-ce pas le véritable nom de l’art ? L’art ne dit pas ce qui va arriver, il est un espace, sans début, sans fin, sans haut ni bas pour Orphée, mais, cette fois, pour un Orphée qui aurait le droit de se retourner.
Olivier Kaeppelin