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Gohar Martirosyan (AM)
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Film -

Trois personnes voyagent ensemble vers une île lointaine, Ouessant. Ils se séparent du continent, des grands récits de la culture, du progrès et de la civilisation. Ils forment une tribu contemporaine, une communauté libre de découvrir de nouveaux modes de vie ensemble. Ils devront inventer des façons de parler avec leurs peurs, de libérer leurs monstres intérieurs et d’apprendre à se sentir proche du temps et de la mort. La réalisatrice Gohar Martirosyan crée une expérience qui sonde et recadre les rituels de notre vie commune contemporaine. Elle s’efforce de découvrir ou de construire, ou plutôt de raviver les liens qui nous unissent à la réalité intérieure de la vie collective, de « revenir à ce moment du passé où les choses ont mal tourné, et ce, afin de prendre un nouveau départ en concevant les pratiques collectives et rituelles adaptées à l’humanité moderne. » Pour Gohar, le retour revêt un sens radical et même révolutionnaire : « Nos intérêts et nos désirs sont produits et définis par notre façon de vivre. Afin de développer le désir révolutionnaire de changer la société dans sa totalité, il faut comprendre que notre culture contemporaine est déjà morte – qu’elle n’est qu’une forme sociale parmi d’autres. Une telle compréhension ne vient pas tant du fait de porter le masque des cultures passées, mais plutôt de voir le visage de la culture contemporaine comme un masque et de le comparer à d’autres. »

Ben Russell, Alain Fleischer, François Bonenfant, Elodie Wattiaux, Lou Skornicki, Vinicius Mantovi, Carmela Duport, Nicolas Verhaeghe, Blandine Tourneux, Agathe Lepoutre, Jennifer Gold, Joseph Michau, Émilien Ghomi, Hasmik Badoyan, Polina Popova.

Gohar Martirosyan
Gohar Martirosyan Arménie
Promotion Marie Curie

Gohar Martirosyan est une cinéaste et artiste numérique arménienne basée à Paris, qui a une expérience des beaux-arts, de la performance et du travail spécifique à l'installation. L'année dernière, elle a terminé son film de 55 minutes Unlearning dans le cadre de Panorama 23 au Fresnoy. Cofondatrice et directrice créative de la Gurban Art Platform et du Ground Art Fest, basés à Munich.
Gohar est résidente permanente de la Galerie 25 à Gyumri, avec le soutien du consul honoraire de la République fédérale d'Allemagne. Ses études artistiques sont financées par la Fondation Philippossian & Pilossian à Genève.

Cursus

2012-2013 Diploma of arts , Yerevan State Academy of Fine Arts
2010-2012 Unfinished degree, Cracow State Academy of Fine Arts
2005-2010 Cracow Children's Arts School
2013-2020 Gallery 25, Gyumri, Armenia
2018-2020 Gallery Futur2, Vienna, Austria

    • Fondation d’entreprise Neuflize OBC Banque privée de référence, plusieurs fois centenaire, la Banque Neuflize OBC est à la fois la banque des particuliers, de entreprises, des fondations associations, des patrimoines constitués comme des patrimoines en devenir. Elle œuvre également à la préservation des patrimoines artistiques, environnementaux et sociétaux.

Source: https://www.neuflizeobc.fr
    • Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, Tourcoing Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains est né de la volonté du ministère de la Culture et de la Communication d’implanter dans le nord de la France, un établissement supérieur d’enseignement artistique d’un type nouveau, pôle d’excellence d’envergure nationale et internationale, dont les références furent exprimées par quelques formules telles que « un IRCAM des arts plastiques » ou encore « une villa Médicis high-tech ».

Sa pédagogie, principalement fondée sur la production d’œuvres de toute sorte dont le point commun est l’intégration de techniques audiovisuelles professionnelles, en fait un lieu de production, d’expérimentation et de diffusion totalement inédit.

Source: http://www.lefresnoy.net/fr/Le-Fresnoy/presentation

    Thématique : Rire et rêver Thematic: Laughing and dreaming

    Ma première surprise est de remarquer que la majorité des travaux de Panorama 23 ne présente pas de discours politiques alors qu’aujourd’hui, les rhétoriques idéologiques reviennent en force.
    Après ce premier étonnement, je suis heureux d’observer que cela ne dénote pas un désintérêt pour la société ou les tragédies de la pla-nète : immigrations, dictatures, catastrophes écologiques, massacres, violences machistes, pour ne citer que les plus récurrentes, mais que les créateurs, ici, choisissent des réponses proprement artistiques.
    Si ma première réaction est la surprise, la deuxième est le bonheur de voir que ces créateurs ne désertent pas leur territoire, leur langage propre. Ils interpellent, analysent, inventent en rappelant que leur mode d’expression, leur méthode, engendrent d’autres attitudes, d’autres com-positions, d’autres formulations du sens.
    Découvrant cela, m’est revenu en mémoire la radicalité de Jeanne-Claude et Christo, avec lequel j’ai présenté, à la Fondation Maeght, le travail de toute une vie sur la forme archétypique du Mastaba, à par-tir de l’utilisation de formes industrielles telles les boites de conserve, les bidons ou les barils. À la vue de ces barils, nombre d’interlocuteurs tinrent des considérations sur le pétrole, l’économie, l’écologie concernant cette éner-gie fossile. Si Christo laissait, bien sûr, les journalistes libres de leur interprétation, il indiquait que ce n’était pas le sujet de son travail et qu’ayant connu cruellement, en Bulgarie, le pouvoir destructeur de l’idéologie, il ne souhaitait pas s’entretenir sur son œuvre de cette problématique. Sans vouloir offenser personne, si son questionneur insistait sur ce thème, il interrompait l’échange, en leur demandant de comprendre sa défiance vis-à-vis de ce mode de pensée qui, selon lui, étouffait l’espace singulier de l’art et de son processus signifiant.
    Je crois, en effet, qu’un artiste n’a aucun intérêt à se laisser envahir, coloniser par ces démarches réductrices. S’il y a une « éthique générale », il y a également une éthique de l’art qui détermine son champ propre.
    Je me souviens qu’un journaliste lui demanda alors : « mais pour quoi militez-vous ? ». Christo répondit en souriant : « Mais comme toujours, je milite pour l’art, simplement ». Christo signifiait qu’avec les formes qu’il inventait, qu’il choisissait, il construisait « un effet d’art », c’est-à-dire une « rencontre » avec un événement artistique. Il ajoutait, un peu provocateur : « Je crée des œuvres complètement irra-tionnelles, irresponsables, sans justification. » Ainsi, à chacun d’entrer en un contact très libre, très singulier avec l’univers pour le comprendre autrement. Que ce soit la nature, la ville, les enve-loppes sociales ou intimes… cette rencontre se fait grâce à l’art qui use de ses propres géographies et de ses propres chemins. Ce sentiment, je l’éprouve aujourd’hui en regardant ou en vivant les œuvres de Panorama qui, claire-ment, disent leur désaccord avec certaines structures sociales, leurs fonctionnements, leurs insuffisances, leurs injustices, leurs erreurs ou absurdités, mais qui, jamais, ne rendent leurs armes au politique ou à une autorité en matière de sciences sociales. Cela n’implique pas une absence de dialogue mais souligne qu’ils n’ont pas la même économie, ni le même imaginaire. Ce n’est pas un hasard si le souvenir de cette expérience avec Christo refait jour, aujourd’hui, tant j’ai retrouvé au Fresnoy des options comparables.
    Je suis heureux de voir la société en débat de cette façon et la place que les artistes s’y assignent, choisissant délibérément que leur langage soit irréductible à d’autres, empêchant ainsi la confusion entre la réalité et le réel.
    Là encore, un autre souvenir : celui de Jean-Luc Godard, au Verger Urbain V d’Avignon, en 1967, après la projection de La Chinoise. Assailli de questions d’actualité ou de théo-ries politiques, de demandes d’analyses, il explique qu’il est cinéaste, qu’il faut d’abord regarder le film, l’assemblage des images, de la parole et du son, pour comprendre son propos. Le sens était là et ne pouvait pas être réduit à aucun argumentaire, aucune rhétorique.
    Là encore, ces phrases de Léos Carax dans un entretien avec Jean-Michel Frodon : « Jamais aucune idée au départ de mes projets, aucune inten-tion. Mais deux trois images, plus deux trois sentiments. Si je découvre des correspondances entre ces images et ces sentiments, je les monte ensemble. (…) Je ne fais pas de films ouvertement politiques, mais je crois toujours que le cinéma existe pour nous changer, et changer nos angles de vision ».
    Christo, Jean-Luc Godard, Leos Carax, autant de manière de dire que l’art, le cinéma, la poésie, ont chacun leur espace, leur régime propre où se cherchent la singularité et l’autonomie de leurs « langues ». Les idées, les sensations, les raisons y ont un autre poids, un autre dessin, une autre forme. C’est ce choix que ne cesse de faire vivre les œuvres de Panorama lorsqu’elles mêlent leurs voix à celles de l’époque et du temps.
    S’il s’agit, par exemple, d’expri-mer la douleur générée par le racisme, au travail à bas bruit, la fiction s’en empare, redonne vie à la Vénus hottentote, à son corps morcelé. Elle renverse l’aliénation extrême de ses pauvres membres pour, désormais, les faire rayonner, d’un merveilleux « rose » à travers le moindre de ces fragments dépecés. Ils deviennent formes sacrées dressant un sanctuaire, les préservant de manipulations dont ils furent et dont ils sont encore l’objet.
    Devant la confusion des sentiments, les stéréotypes d’époque, la soumission à l’ordre des techniques, les artistes ont recours aux pouvoirs de la surprise, de l’enfance, aux rêves et aux voiles de l’ima-ginaire qui se gonflent et invitent nos vies, de manières inattendues, parfois « tordues », à déjouer l’ordre et les règles, à faire entendre l’humour et l’ironie qui défont les lignes droites, nous obligeant à être « le suivant d’un suivant. »
    « Au suivant ! » dirait Jacques Brel. Pigeons. Crânes d’œuf après crânes d’œuf. Ils sont aussi de véritables détona-teurs contre certains personnages de la scène #MeToo. Semblables au Pantalone de la commedia dell’arte, ils sont présents depuis l’Antiquité jusqu’aux grotesques de la Renaissance. Ils ont les traits parfois sans pitié de l’art brut ou portent les grimaces des morphings numériques de Joan Fontcuberta. Leurs corps se déforment, sous l’effet des jouissances du pouvoir et de celles du corps de l’autre.
    Beaucoup de jeux de rôles nous interpellent, de scène en scène. Certaines violences s’inspirent des mises en scène, des games de combat parodiant des biographies d’assassins devenus des producteurs de cinéma de série B, remplaçant les duels de valeureux samouraïs.
    D’une fiction à l’autre, beaucoup de personnages surgissent et sont traités, non plus pour leurs corps, mais comme des « composi-tions-combinaisons » abstraites, au sein d’allégories ou d’expériences vécues ou rejouées dans le théâtre des installations.
    Il arrive aussi que, quel que soit le masque ou la peau du rôle, les person-nages, malgré de volontaires distanciations, ne puissent être soustraits aux émotions mémorielles souvent mélancoliques ou dramatiques, « Persona – Personne – Personnage » se mêlant.
    Dora García évoque la déception de femmes toujours dans l’espérance d’un monde à venir qui ne vient pas, l’impossible recon-naissance authentique de leur identité. Le monde se repliant sur lui-même n’offre plus alors que la répétition désespérante des mêmes échappatoires. « Sortir du champ » est alors une aventure dont la force motrice est le rêve.
    EXIT, sortir, s’extraire, voilà ce que les peuples de migrants incarnent. Ces peuples qui traversent les terres vers la mer. Ils franchissent les déserts, réparent leurs sandales, pour continuer à marcher, abandonnent leurs bagages, leurs vêtements puis leur vie... Ils ne laissent rien, si ce n’est, grâce à quelques-uns respectant leurs rêves, une tombe sans nom, dans l’espoir qu’un jour une famille, une communauté les reconnaîtront. Qu’en est-il, aujourd’hui, de ces fantômes et des possibilités d’îles imaginaires à atteindre ? Une chanson dit que ce refuge est toujours vivant pour ceux qui les suivent et chantent à nouveau.
    La plupart de ces œuvres n’ont pas de narrations formelles mais des élaborations « complexes » inattendues qui nous maintiennent en éveil, à la recherche d’une issue virtuelle au labyrinthe. Je pense à John Cassavetes qui confie à propos de Love Streams : « Faire un film n’a rien à voir avec les actions, la narration, la conti-nuité, mais comment on reste accroché au sujet. À chaque fois que quelqu’un pense qu’il va se passer quelque chose, dans ce film, il se passe autre chose. Bon, ça aurait pu avoir un meilleur plan narratif, mais on fait un film et on se dit : ça pourrait être mon dernier film. Pourquoi j’irais me mettre dans un plan narratif vous comprenez ? Et puis on claque juste après, vous voyez. »
    C’est alors que la pensée onirique prend son envol. Elle nous projette dans un journal intime ou une légende, en nous offrant la perspective heureuse de se diriger vers « l’Ailleurs ».
    Rien n’est affirmé, ni stable. L’art, la musique, l’amitié, la vie autonome des objets concourent à négliger la seule dimension matérielle de nos vies. Ce que je vois est dépassé par une « autre vue », une connais-sance nouvelle des genres et des règnes. La nature nous incite à faire un pari sur la présence de l’invisible, sur le principe d’incertitude. Le monde est une supposition, potentiellement vérifiable, ce dont, régulièrement, la physique quantique nous informe.
    De cette liberté efficiente, le refus d’un système autoritaire de perception et d’interprétation est le garant. Il n’affronte pas le politique, il le contourne, le désamorce. L’hypothèse est clai-rement de choisir l’Ailleurs, comme analyseur de notre situation. Ici, les œuvres cherchent à l’atteindre en mixant le rêve, la science, l’uto-pie, les déplacements de la pensée, le mouve-ment, paradoxalement, plus concret que toute fondation.
    Imaginons une ville. Ce n’est pas son bâti qui la fait vivre, car la ville est une étoffe brodée d’habitants, d’arbres, de temps, de mémoire, de cir-culations et de frémissements. Son réseau est un réseau sanguin. Il fait et défait sans cesse la carte. Épiderme rêvant une fiction entre science et animisme.
    Olivier Kaeppelin